Pina Bausch, ce qu’elle regarde chez l’autre intimide et rassure… Sa parole est éclectique, percutante. Les danseurs hommes et femmes, jeunes et vieux le disent. Ils se laissent impressionner et rendent la pareille au bout d’un long travail d’apprivoisement réciproque. Danser à perdre haleine, casser le corps en segments de plus en plus minuscules, jouer avec le drame et le ridicule, déjouer la facilité et l’emphase, couper net la prétention, ne montrer que l’effort dans la pudeur du renoncement ultime, apologie ludique et grave des chutes rivées aux sauvetages inachevés. Elle emporte le groupe des danseurs dans un paysage intérieur aux émotions extrêmes. Les cheveux plats tirés et noués en arrière sur la nuque, sa beauté vient du mouvement et de sa répétition lente, inlassable, inclassable. Pina Bauch a inventé un nouveau langage entre les êtres, et des séries de postures qui ne dissemblent pas sans s’éloigner les unes des autres, elles recomposent les silences et les affolements de toute relation humaine, elles égalisent la promotion des sexes dans un aller-retour. Elles accouplent des différences et donnent le vertige de la transposition et de la superposition des chairs libres. Les robes sont liquides, les os y nagent en rond, les muscles s’y étirent. Les regards s’illuminent et s’éteignent au claquement sec des consignes muettes, la joie saute aux yeux , la tristesse érode le calcul, on ne triche pas chez Pina Bausch, on déshabille le cœur et l’esprit jusqu’aux racines de soi. Féminité souveraine, Masculinité troquée à la sauvette, mutuellement revendiquées et échangées… Tout y est ! Il suffit de se laisser prendre en flagrant bonheur de lire l’Autre sans réserve, sans anticipation, sans défi. La présence des danseurs de Pina Bausch est telle qu’ils parviennent à co-exister sans s’annuler. Uniques et reliés aux quatre éléments, leur destin ne fait pas peur, il fortifie, s’éternisant en boucles, s’adoucissant dans le changement de perspectives. Le drame de vivre s’éloigne à chaque tentative, la trajectoire propulse et calme le désir en suspension, le tend et le rompt jusqu’à la décision dernière. Le deux implique le un, le tous dialogue avec la moitié. La dispersion attire l’agglutinement jusqu’à l’accrochage aux vertus biodynamiques. Le haut et le bas fusionnent dans une attraction certaine effrayante et consolante… L’énergie coule de source et y retourne…
M.T. Peyrin 10/04/2011
Le film d’hommage de Wim Wenders vu hier au soir en 3D, est un chef-d’œuvre !
C’est avec l’ensemble de sa troupe du « Tanztheater Wuppertal »que Wim Wenders a décidé de recréer des fragments des quatre ballets les plus célèbres de Pina Bausch dont « Café Muller » et le « Sacre du printemps« .Pas besoin de connaître l’univers de la grande Pina pour se laisser emporter par ce documentaire envoûtant. L’approche de la danse qu’elle propose est décalée, thématisée, et propose un vrai travail sur le corps et l’humain. Ce n’est pas pour faire joli que Pina interrogeait ses danseurs pendant tout le processus de création. Elle creuse la vie de chacun, le passé, les rêves, et cela dans un seul but : les faire danser. Contrairement à ses contemporains, elle ne s’intéresse pas seulement à des mouvements et des formes à reproduire, mais aux rapports à l’anatomie du corps de chacun et aux possibilités qui leurs sont données. Un grand film, une belle illustration de la lumière et de l’obscurité qui manie la foudre de la violence de la sensualité, des rapports hommes femmes et de la solitude. Les personnages se croisent et se décroisent sur une scène contrastée d’une émotion intense rien qu’en abordant le simple nom de Pina Bausch.
E.